Les limites de la science
Première rencontre romande du Réseau des scientifiques évangéliques

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Silvain Dupertuis

Le groupe romand du Réseau des scientifiques évangéliques (RSE) est bien parti, avec sa première rencontre à Nyon le 2 avril dernier [2011], sous le titre « Les limites de la science ». Il a rassemblé près d’une soixantaine de participants pour une journée riche dont nous ne pouvons qu’évoquer certains points essentiels.

« C’est suite à un colloque organisé par la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine qu’a été créé il y a trois ans ce réseau, explique Peter Clarke, l’initiateur de ce groupe romand, et sous l’instigation des Groupes bibliques universitaires. » D’ailleurs, ce samedi à Nyon, presque tous les participants sont d’ancien « GBUssiens », ce qui témoigne du rôle majeur de ce mouvement pour penser la foi chrétienne aujourd’hui. Le RSE répond à un double enjeu : d’une part rendre compte de notre foi dans une société marquée par l’image que le message biblique est suranné, dépassé par la science moderne, et d’autre part répondre à la méfiance de nombreux chrétiens vis-à-vis de la science, qui y voient à tort une menace pour la foi.

Le RSE a déjà tenu trois journées d’étude et de rencontres à Paris, et la prochaine, prévue pour 2012, abordera la difficile question de l’origine de l’homme.

Les racines judéo-chrétiennes de la science

C’est sous ce titre que le pasteur Paul Hemes, ingénieur physicien de première formation, introduit la rencontre par un premier exposé extrêmement bien documenté. Les recherches historiques ont largement remis en question l’idée que la révolution scientifique se serait faite en opposition au christianisme, ainsi que celle d’un Moyen Âge obscurantiste. « C’est un mythe qui s’est construit au 19e siècle, explique l’orateur, mais encore très présent dans les esprits. »

Mais il faut rester pondéré ! La thèse inverse, à savoir que la science serait issue du judéo-christianisme, serait un autre mythe... Il faudrait plutôt comparer l’émergence de la science à un fleuve issus de divers affluents, dont l’apport judéo-chrétien, l’héritage de la philosophie grecque, l’apport des Églises d’Orient, et la contribution considérable de la civilisation musulmane, qui a recueilli et enrichi un vaste ensemble de connaissances et de techniques.

L’apport chrétien, Paul Hemes le fait remonter à Abraham. L’histoire racontée dans la Genèse nous montre un homme qui quitte Sumer pour répondre à l’appel de Dieu et part pour un pays inconnu. Ce n’est pas tant de géographie et de biographie qu’il s’agit, mais bien d’une mutation philosophique et religieuse fondamentale, porteuse à terme de la possibilité d’émergence de la connaissance scientifique. Dit très brièvement, le ciel est vidé de ses dieux, le créateur n’a plus de biographie, et l’humain n’est plus esclave des dieux. Il est créé à l’image d’un Dieu qui lui confère la liberté et le pouvoir de découvrir les lois de la nature.

Il faudra encore des siècles d’histoire pour qu’émerge au temps de Galilée ce que nous appelons la science moderne. Mais en tout cas, on peut reconnaître dans ce développement plusieurs facteurs positifs de l’héritage chrétien, notamment :

Dieu garantit la vérité et la pertinence de la science dans ses limites

C’est sous un angle principalement philosophique que Lydia Jaeger, directrice des études à l’Institut biblique de Nogent, avec une triple formation en physique, en philosophie et en théologie, a abordé le thème des limites de la science, titre de la journée. Elle a dessiné les contours des domaines de compétence et d’incompétence de la science. Parmi les domaines d’incompétence, l’oratrice mentionne notamment les relations interpersonnelles, l’éthique, et l’expérience esthétique.

« La science est à la fois limitée et vraie (dans son cadre) », affirme Lydia Jaeger, en donnant à cette affirmation un fondement théologique : l’idée d’une création par la Parole implique un monde ordonné, dont la structure est à découvrir et non à construire ; par ailleurs, l’homme créé à l’image de Dieu a par là-même une capacité à découvrir les lois de la nature ; cependant, en tant que créature, il n’accède qu’à une connaissance limitée. La rationalité de Dieu est ainsi le garant de la confiance que nous pouvons avoir dans la validité de cette connaissance partielle, et nous libère en même temps de toute prétention à l’omniscience.

La science moderne (c.-à-d. depuis Galilée) est d’ailleurs en soi un projet de connaissance limitée, et sciemment limitée – alors que les philosophes grecs rêvaient d’atteindre l’essence des choses. Il faut ajouter que la science est historiquement et sociologiquement située, ce que les historiens des sciences reconnaissent depuis 1960 – avec le risque d’un relativisme qui priverait la science de toute possibilité de vérité, même partielle, et aboutit à un scepticisme radical.

« La foi en un créateur est au fondement de la science, affirme Lydia Jaeger, et permet d’éviter le double écueil d’une foi naïve en l’objectivité de la science et du relativisme. » Il ne s’agit pas du dieu bouche-trou qui viendrait combler la part d’inexpliqué, mais bien de ce qui fonde la possibilité même de comprendre le monde et de découvrir les lois de la nature.

L’oratrice n’a fait qu’effleurer les limites de la science dans ses domaines de compétence. Elle mentionne tout de même la question des origines de la vie, pour laquelle aucune explication n’a été trouvée, « et je parie, ajoute-t-elle, qu’on n’en trouvera pas – mais cela reste un pari... ». On pourrait être tenté d’y voir un miracle, signe du créateur. Mais il faut rester prudent !

Seuls dans un univers immense et vieux de près de 14 milliards d’années ?

Pierre North, astrophysicien à l’EPFL, a donné une présentation très bien faite du « modèle cosmologique standard » très généralement reconnu, et des preuves qui ont conduit à le valider. Ce modèle fait remonter l’histoire de notre univers à un événement initial appelé (improprement !) « big bang », d’où est issu notre univers en expansion, la lente formation des galaxies, des étoiles, des planètes et de la matière dont nous sommes formés. Reste que si la science découvre un commencement, il ne s’agit toujours pas de l’origine, qui reste inaccessible à la science.

Le même orateur a abordé l’après-midi la question du programme SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence – recherche d’intelligence extraterrestre). Une quête compréhensible, mais qu’y a-t-il de scientifique dans cette démarche ? Pour Pierre North, bien peu de chose. Cette mouvance a souvent un caractère quasi-messianique et utilise abondamment un langage quasi-religieux.

Cerveau et spiritualité

La cinquième conférence abordait la question du cerveau et de la spiritualité. Stéphanie Clarke, professeur et chercheuse au CHUV, médecin-cheffe du Service de neuropsychologie et de neuroréhabilitation, est spécialiste en recherches sur le cerveau. Elle a présenté différentes expériences récentes, qui ont mis en évidence des influences mesurables de la spiritualité ou de la méditation sur le fonctionnement du cerveau. L’imagerie médicale permet de montrer que certains types de méditation ont des effets non seulement en termes de perceptions (de la douleur, notamment), mais aussi dans le fonctionnement et même dans la configuration du cerveau. Comme d’ailleurs le fait d’apprendre à jouer d’un instrument de musique...

« On commence à comprendre, explique S. Clarke, les mécanismes qui sous-tendent certains de nos choix et de nos décisions. » Le recherche montre que notre expérience de conscience dépend de notre fonctionnement cérébral. « Cependant, c’est nous qui faisons des choix », explique l’oratrice, qui aborde prudemment la difficile question philosophique de la relation entre conscience et fonctionnement du cerveau : « L’approche dualiste, estime-t-elle, ne tient pas. Il faut plutôt voir dans la conscience et dans le fonctionnement cérébral deux niveaux différents d’une même réalité. »

Une table ronde limitée...

Une table ronde a suivi ces cinq exposés très riches, permettant aux différents orateurs précédents de préciser tel ou tel point en réponse aux questions du public. Dommage que l’assistance ait déjà commencé à se disperser. J’aurais pour ma part souhaité qu’y soit aussi invité l’orateur suivant, le pasteur physicien et théologien Roland Benz, qui allait conclure cette journée par une dernière intervention. Cela aurait pu être l’occasion d’enrichir le débat par un dialogue entre orateurs, et notamment avec Lydia Jaeger...

De la connaissance à la reconnaissance, le privilège du scientifique croyant

Tel était le parcours auquel Roland Benz nous invitait une dernière intervention. Reprenant la question des limites de la science, l’orateur a évoqué les limites intrinsèques de la connaissance scientifique que la science du 20e siècle a fait apparaître, notamment avec la physique quantique. La science ne peut jamais nous donner qu’une sorte de « carte » du territoire, mais n’accède pas directement à la réalité. La réalité ultime nous échappe toujours.

Recevant son intelligence comme don de Dieu, le scientifique croyant

Il est essentiel de distinguer radicalement, selon R. Benz, démarche scientifique et démarche de foi, pour pouvoir les relier correctement – en renonçant à toute volonté de « quand même un petit peu prouver Dieu ». Dieu n’est pas déductible de l’observation du monde – ou ce serait encore une idole.

Dans la triple bénédiction de Genèse 1, l’orateur nous invite finalement à une triple responsabilité :



Bibliographie



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