La 7e édition de la journée du Réseau des scientifiques
évangéliques de Suisse romande a abordé samedi dernier (6 mai
2017) la question du changement climatique. Sous le titre
« Écologie et développement durable », quatre orateurs
nous ont interpellés avec des conférences de grande qualité, pour
un public d’une quarantaine de personnes qu’on aurait pu espérer
plus nombreux.
L’alerte est donnée sur l’urgence et l’ampleur de la tâche. Avec
le regard croisé des sciences, de l’histoire, de la philosophie et
de la théologie, les intervenants s’accordent sur notre
responsabilité particulière de chrétiens. Avec une vision du monde
qui s’enracine dans trois thèmes bibliques majeurs :
Plus de doute, notre responsabilité est engagée. C’est même à une « conversion » que nous sommes appelés.
C’est Nicolas Ray, membre de l’Église évangélique de la Fraternelle, qui ouvre les feux. Docteur en biologie et chargé de cours à l’université de Genève, il est également chef d’équipe du Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Dans une présentation claire et magistrale, il fait l’état des lieux de la question du point de vue scientifique. Le réchauffement climatique ne fait plus de doute, ni son origine essentiellement humaine. 97 % des études récentes – un nombre impressionnant d’études avec des approches diverses – le confirment. Mais ce consensus est mal relayé par les médias, avec 1/3 de l’espace médiatique, et 55 % de l’opinion américaine occupé par les climato-sceptiques. De plus, il s’avère que cette minorité est pour l’essentiel liée à des lobbies industriels – à l’image de l’action des lobbies de l’industrie du tabac.
Une quinzaine d’indicateurs différents confirment le réchauffement global. Il est causé principalement par l’augmentation du taux de carbone dans l’atmosphère – résultat de l’utilisation des carburants fossiles et de la déforestation – et pour une part plus faible par celle du méthane, conséquence de l’élevage.
On commence à mesurer les effets de ce changement – extrêmement
rapide à l’échelle géologique, et qui survient après 10’000 ans de
stabilité. Il semble désormais illusoire de parvenir en-dessous de
2° d’augmentation de la température globale, mais si on ne fait
rien, c’est à 5-6° qu’il faut s’attendre, avec des coûts induits
énormes. L’humanité est donc devant un choix majeur. Soit nous
prenons dès maintenant les mesures d’atténuation
indispensables : investissements pour l’efficacité
énergétique pour la transition vers les énergies renouvelables,
amélioration des puits de carbones (forêts notamment), changements
de style de vie. Soit nous (ou nos enfants, ou nos petits-enfants,
selon notre âge…) supporterons plus tard un coût bien plus élevé.
Dans une perspective chrétienne, nous sommes ainsi interpellés sur
trois points : celle de notre responsabilité envers les
générations futures, celle de la valeur intrinsèque de la
création, et celle de la justice. C’est sur ce troisième point que
va se pencher l’orateur suivant.
Le Dr Dominic Roser développe les enjeux éthiques de ce problème
global. Il a fait ses études en philosophie et en sciences
économiques à Berne, et il est actuellement maître d’enseignement
et de recherche à l’Institut d’éthique et des droits de l’homme de
l’Université de Fribourg.
L’orateur commence par rappeler l’impact majeur de la révolution
industrielle : elle nous a permis de sortir de la pauvreté.
Au 19e siècle, la Suisse était plus pauvre que le Mozambique, les
ouvriers et les enfants travaillaient 13 heures par jour dans les
usines, et l’espérance de vie ne dépassait pas 40 ans.
L’industrialisation nous a permis de concrétiser l’espérance
biblique : « il n’y aura pas de pauvres parmi
vous », telle qu’elle s’exprime dans la loi mosaïque (Dt
15.4) et à travers l’ensemble de la révélation. Une bénédiction,
mais pas sans péché. Une bénédiction bien relative… car elle est
entachée d’injustice et d’effets pervers : la répartition
injuste de ses bienfaits, les aliénations qu’on constitué
l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation des ressources, et le
changement climatique que nous connaissons maintenant – mais qui
avait de fait déjà été prévu il y a fort longtemps.
Même s’il reste un marge importante d’incertitude quant à
l’ampleur des effets de ce changement, cela ne justifie en aucun
cas l’inaction. C’est la première fois que l’humanité est
confrontée à des enjeux réellement globaux et à long terme, et
nous n’y sommes préparés ni psychologiquement ni politiquement.
Notre morale habituelle à petite échelle ne suffit plus. Sans que
nous en soyons conscients, l’action de million de personnes tuent
– ou tueront – des millions d’autres. Défendre ses ses intérêts à
l’échelle individuelle ou à celles des États est inadéquat, et la
défense du bien commun à l’échelle d’un pays seul ne relève en
aucun cas d’une perspective chrétienne.
La réalité est qu’à l’injustice de la répartition des bienfaits de
la technologie s’ajoute celles de ses méfaits. Les conséquences du
changement climatique touchent bien davantage les pays du Sud, et
la planète entière est maintenant affectée par l’effet cumulatif
des émissions du Nord. Il s’agit donc de prendre en compte cette
injustice à l’échelle de l’ensemble de l’humanité et dans une
perspective intergénérationnelle, à très long terme. Nous autres
Suisses pensons souvent être de très bons élèves. Mais nos bonnes
notes sont calculées sans tenir compte des émissions passées… et
négligent de comptabiliser les émissions chinoises des produits
que nous importons de là-bas.
Que faire alors ?
L’engagement individuel et local est bien, mais ne suffit pas.
Tel de mes amis arbore fièrement une voiture électrique très
coûteuse. Peut-être qu’un investissement dans des fours solaires
en Afrique aurait eu plus d’efficacité pour l’avenir du climat...
Investir dans l’innovation serait-il une fuite technologique
illusoire ? Pour l’orateur, en s’appuyant sur la vision
positive de la production culturelle humaine reflétée dans
Apocalypse 21, il y a là une espérance légitime. Dans cet esprit,
plus de technologie, ce n’est pas nécessairement s’éloigner de la
nature…
C’est un regard d’historien que nous livre Jean-François Mouhaut,
directeur du centre des Courmettes, fondé au sud de la France par
l’association écologique chrétienne A-Rocha. L’étude des crises
du passé, de certaines expériences de géo-ingénierie très risquées
(notamment durant la guerre du Vietnam), les études historiques
sur les « marchands de doute » financés par les lobbies
du pétrole, et surtout l’histoire de l’esclavage et de son
abolition, sont porteuses de leçons pour aujourd’hui.
Plus de trois siècles avant l’ère chrétienne, le philosophe
Aristote avait déjà rêvé d’une machine qui pourrait tisser
d’elle-même. En 1940, on a inventé le terme d’« esclaves
énergétiques » pour désigner ces machines qui nous facilitent
la vie – sans connotation négative : on y voyait un grand
progrès. On peut repérer certaines similitudes avec
l’esclavage : un moyen d’éviter des tâches pénibles, mais
avec des conséquences désastreuses pour d’autres. Sauf qu’avec nos
machines, les désastres sont dilués dans le nombre, ils sont
indirects, ils sont moins immédiats… mais tout aussi réels. Par
exemple le conflit en Syrie, exacerbé par notre besoin de pétrole,
ou diverse sécheresses dans le Sud, conséquences de notre boulimie
énergétique dans le Nord.
Aujourd’hui, nous regardons avec incompréhension nos pères qui ont pratiqué l’esclavage. Nos petits enfants n’auront-ils une incompréhensions semblable face aux incohérences de notre génération ? Jésus invectivait les Pharisiens en leur reprochant de bâtir les tombeaux des prophètes et d’agir comme ceux qui les avaient tués. Que dirait-il de ceux qui admirent un Abraham Lincoln et refusent d’écouter les avertissement des prophètes d’aujourd’hui – fussent-ils des prophètes scientifiques ?
On peut tirer des leçons de l’exemple de l’esclavage et de son abolition. Les chrétiens ont joué – en tout cas en Angleterre – un rôle clé dans l’abolition. Dans les deux cas, il s’agit de trouver un substitut qui n’ait pas le même coût moral. Deux attitudes s’affrontaient alors entre une option de type radical et une option de type gradualiste. L’histoire de William Wilberforce est exemplaire à ce sujet. C’est de manière graduelle que ce philanthrope évangélique et homme politique britannique est parvenu en 1833 à imposer l’abolition dans tout l’empire britannique.
Mais il ne faut pas s’illusionner en pensant que « nous
allons sauver la planète », car cette illusion est finalement
démobilisatrice. Pour nous, le seul salut est en Jésus-Christ, et
notre espérance se base sur d’autres réalités. Mais pas
déconnectées de notre réalité concrète. L’idée que « la terre
va être détruite » et que, par conséquent, nous n’aurions pas
à nous investir pour changer les choses, est un faux argument, car
la volonté de Dieu est d’incorporer le travail de l’homme. Sans
surprise, cette objection est réapparue dans les questions du
public lors de la table ronde qui terminait la journée.
Il est donc de notre responsabilité d’agir, aussi bien pour
préserver la création – reçue de Dieu – que par respect du
prochain. Cette actualité du changement climatique ne serait-il
pas alors un moyen dont Dieu se sert pour nous amener à la
repentance et à nous rappeler que nous ne sommes pas Dieu ?
C’est à un théologien et philosophe catholique qu’incombe la quatrième intervention de ce samedi, le professeur Fabien Revol, enseignant chercheur et titulaire de chaire à l’Université catholique de Lyon. Notre orateur se réfère à l’encyclique magistrale du pape François, Laudate Si, publiée en mai 2015. Jusque-là, dans les milieux écologistes, l’idée que l’écologie ait un rapport avec la foi chrétienne apparaissait saugrenue.
De fait, cette relation n’a rien d’évident. En 1967, le professeur d’histoire médiévale américain Lynn Townsend White publie un article qui fera date : « Les racines historiques de la crise écologique ». Son analyse relie la crise écologique actuelle à la conjonction entre une conception judéo-chrétienne de la nature et l’émergence de la technologie moderne. » L’encyclique Laudate Si montre au contraire qu’un chrétien qui approfondit sa conversion au Christ se convertit aussi à une responsabilité pour la sauvegarde de la création.
La sauvegarde n’est certes pas le salut – cet acte unique opéré
à la croix par Jésus-Christ. Mais la sauvegarde de la création en
découle bel et bien. Il s’agit de la sauvegarde des conditions de
vie de l’être humain, dans la foulée de la mission de
« garder et cultiver » confiée à l’homme dans le récit
de la création, et non comme une mission de
« domination » telle qu’on l’a mal comprise à partir de
Descartes, et qui serait un permis d’exploiter à volonté une
création matérielle sans valeur intrinsèque.
Ainsi le salut en Jésus-Christ est source d’une espérance qui
motive l’engagement pour une écologie intégrale. Cette
conversion-là passe par un changement de regard. Il ne s’agit de
rien de moins que d’abandonner les idoles pour se tourner vers le
vrai Dieu. Quelles idoles ? Justement celle de l’idéologie
d’une nature dont nous pourrions nous rendre maître et dans
laquelle nous pouvons puiser sans limite.
Choisir le vrai Dieu, c’est entrer dans le regard de Dieu, qui
déclare sa création bonne et lui donne ainsi une valeur
intrinsèque, en accordant à l’homme sa dignité particulière. Il
s’agit donc d’articuler cette dignité de l’homme avec la valeur de
la création. C’est aussi reconnaître dans la nature une
« communauté de louange » au créateur. C’est enfin
reconnaître la dimension théologique de la relation entre les
êtres. Philosophiquement, rien n’existe sans interdépendance
continuelle, en accord avec le projet créateur d’êtres reliés. On
peut mettre cela en lien avec notre foi en un Dieu
trinitaire : un monde relié marque d’un Dieu relationnel.
Plusieurs textes de Saint Paul insistent sur cette dimension
cosmique du salut qui inclut la création tout entière, comma par
exemple Rom 8.19, « La création attend avec impatience la
révélation des fils de Dieu... », ou Eph. 1.9-10. Et dans cet
univers relationnel, la domination selon l’Évangile, c’est le
service.
Notre appel de chrétien est donc de vivre des relations
réconciliées dans ces quatre dimensions : avec Dieu, avec le
prochain – en particulier les plus pauvres, avec soi-même, et avec
la création.